Blog Festival de Cannes
Par Damien Aubel
"Ichimei", Takashi Miike, en compétition. - "La piel que habito", Pedro Almodovar, en compétition. - Le jour où il arrive, Hong Sangsoo, Un Certain Regard.
Allez, un coup de gueule pour finir en beauté cette semaine cannoise. Non, ce n’est pas la provoc de potache décérébré de Lars Von Trier et son finaud « je suis un nazi » qui attise notre juste colère, mais un gadget consternant d’absurdité : les
lunettes 3D. Quel besoin avait Takashi Miike d’imposer le port de ces Ray-Ban 100% plastique aux spectateurs de sa pavane pour un samouraï défunt, Ichimei ? La caméra onctueuse et flottante de Miike n’a pas besoin de ce cache-misère pour cinéaste impuissant. Voilà, c’est fait, on est calmé, et on peut dire tout le bien qu’on pense de l’histoire de Hanshiro, qui exige de se suicider dignement dans le Japon du XVIIe siècle. Les puristes du film de cape et d’épée nippon risquent de tiquer : Miike raconte l’agonie de l’âge héroïque du Japon ancien. La paix a mis les samouraïs au chômage technique, le noble art du hara-kiri est devenu une imposture et le redoutable Hanshiro arrondit les fins de mois en fabriquant des ombrelles. Quant à son gendre, Motome, il est plus porté sur l’étude que sur les sauts de kangourou sabre au poing. Bref, les temps ont changé et l’heure n’est plus au code d’honneur étriqué et belliqueux des samouraïs, mais à l’humanisme et à la vie de famille. Voire au mélo qui fait pleurer dans les pagodes : la fille de Hanshiro crache du sang, son petit-fils est consumé par une mauvaise fièvre. Ichimei, ou la victoire de la larme sur la lame.
Autre spécialiste du kleenex mouillé, mais qui fait moins dans l’outrance mélodramatique cette fois-ci que dans le thriller biscornu : Pedro Almodovar. La piel que habito, étincelante adaptation du Mygale de Thierry Jonquet, c’est un peu James Bond greffé sur Les Yeux sans visage de Franju. Robert (Antonio Banderas qui semble avoir piqué sa classe virile à Sean Connery) fait de la chirurgie esthétique comme on complote la fin du monde chez 007 : dans une luxueuse bâtisse, truffée de caméras et meublée comme dans un fantasme de designer pop des sixties. Là, Robert se livre à des bidouillages fort peu déontologiques : il est question d’une nouvelle peau humaine, obtenue par mutation génétique, mais aussi d’une jeune captive, Vera, à qui le chirurgien aurait donné le visage de sa défunte femme. Almodovar rejoue avec brio son thème fétiche, celui du flottement des identités. Entre l’humain et l’animal, entre l’homme et la femme, ou encore entre l’œuvre d’art et la créature de chair, les frontières sont poreuses comme la peau,
ray ban original, suggère le film. Identité, ton nom est fragilité.
Ce que confirme le Coréen de la Croisette, Hong Sangsoo, de retour avec une nouvelle dérive alcoolisée (on y picole à peu près autant que chez Kaurismäki, ce qui n’est pas peu dire) dans les rues de Séoul. Serti dans un noir et blanc élégamment mélancolique et scandé par des pauses philosophiques en forme de conversations quasi-rohmériennes, Le Jour où il arrive est du meilleur Hong Sangsoo. Seongjun, cinéaste qui ne fait plus de cinéma, retourne à Séoul voir un vieil ami – il s’invite chez une ex, couche avec la patronne d’un restaurant, a une prise de bec avec un acteur…Au fil de cette balade nonchalante au burlesque minimaliste, les scènes se succèdent et se ressemblent, des dialogues migrent de l’une à l’autre – mais les personnages peuvent permuter, et chacun est susceptible d’occuper la place de l’autre. Seongjun se comporte ainsi avec le même mélange de muflerie et de tendresse envers son ex et sa nouvelle conquête. Les êtres sont interchangeables, l’identité est une illusion. Ne reste peut-être qu’un discret désespoir, celui qui accompagne en sourdine tout le film.